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Victor Hugo, certes, est d'une autre trempe : mais il lui manque la vie. « Lucrèce Borr/ia, — s'écrie Barbey le février 1870, — est une déclamation romantique, comme Heniani, d'ailleurs, et même comme toutes les pièces de M. Hugo, qui est uo poète lyrique mêlé encore de déclamation, mais qui n'est, au Théâtre, qu'un décla- mateur dramatique, sans mélange d'aucune autre chose. Hernani ne vit pas plus de la vie intime, sincère, pro- fonde, humaine enfin, que Lucrèce Borgia ; mais //cr- nani a cet avantage sur Lucrèce, qu'il est écrit en vers, et que M. Hugo sait marteler le vers! Le vers, que M. Victor Hugo forge comme une armure, fait corselet à sa déclamation et la diminue, cette Ampoulée, en la revêtant... Tout ce gonflement, tout cet extravasement, toutes ces grosseurs, le vers appuie dessus, comme un bandage d'acier, et les rentre. Mais en prose, rien de pareil. Dans cette prose deLîicrèce Bo)'f/ia,^àve\em\)\e, dans cette prose carrée, et cannelée, et crénelée, et crêtée comme un plat monté de pâtisserie, il n'y a plus que le déclamateur avec toutes ses exubérances, avec toutes ses exagérations volontaires ou calculées. » (1).

A Victor Hugo les classiques en déroute opposèrent Ponsard — « Ponsard, — s'exclame avec joie d'Aure- villy le5'décembre 1881, — c'est le poncif i-M homme. Il a dans le talent la roture de son nom... Ayant atteint sa majorité intellectuelle à l'heure où le Romantisme éclatait, — Ponsard n'aurait jamais plongé dans cet éther ardent dont les plus grands du temps respirèrent la flamme. Il serait resté à l'écart, comme un pingouin, aux ailes courtes, sur son rocher... Chez Ponsard, c'est le bourgeois épais, pédant et pataud, qui aurait, avec ses

(1) Théâtre contemporain, t. IH, p. 172 et 173.