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onlcouli-aint : ce sont de terribles « niveleuscs » d'hommes et d'aveugles éducatrices des volontés ; elles soumettent les plus rebelles au joug- de la loi commune. Comme il faut vivre, avant tout, et que même un écrivain ne se nourrit pas de son seul talent, d'Aurevilly a dû faire, — bien à contre-cœur, — métier de sa plume.

Il était destiné, par ses goûts natifs, à n'écrire qu en «dilettante», par plaisir pur, ou tout au plus pour l'agré- ment d'une élite et de ses intimes. Mais il a été obligé de gagner son pain. Or, le seul fait de devenir journaliste l'exaspérait. Se muer, lui,rhomme de toutes les élégances et de tous les succès mondains, en l'être misérable qui s'appelle un rédacteur de feuille publique ; dépendre de ce personnage exigeant qui a nom directeur de journal et de ce tyran^ anonyme qu'est la foule; entrer d.ans un groupe et dépouiller par conséquent, au contact d'autrui, peu ou prou de sa personnalité ; n'être plus qu'une entité noyée et fondue dans une collectivité qui ne tarde pas à perdre toute couleur, à force de subir des influences mélangées; se grimer en serviteur des masses, en amuseur populaire, en histrion de tréteaux plébéiens; s'attacher à la glèbe de la « copie ^> et se river à l'escla- vage de la littérature payée ; - c'était pour lui le comble de rinfortune. De semblables exercices sont suprême- ment douloureux à un individualiste et répugnent à ses instincts de solitude. Rien que de se plier à la besogne des professionnels du journahsme, cela l'écœurait et

l'affolait.

En dépit de ses révoltes, Barbey d'Aurevilly a du pourtant se résigner à l'âpre labeur, obscurément fait et sans doute condamné à rester obscur. Il lui a fallu accep- ter les fonctions de critique littéraire, —lui qui se sentait resprit du monde le moins apte à « éplucher », à « éche-