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mâchoires, Diderot a dénationalisé le g'énie français » (1).

Ainsi, dos trois grands pontifes du XVIIP siècle, dont aucun ne plaît à Barbey d'Aurevilly, c'est Voltaire pour- tant qui vient en première ligne, parce qu'il représente une aristocratie bien française. Diderot est classé au second rang par ses attitudes de bourgeois, « père de Gœthe », qui « vaut mieux que sa géniture », car « il avait la verve qui peut être parfois une exagération de la vie, mais qui, en fin de compte, est la vie » (2). Tout au bas de l'échelle, gît Rousseau, le laquais cosmopolite, qui n'eut ni esprit, ni verve, ni vie, qui fut un plat valet sans feu ni lieu, — ni français, ni suisse, ni allemand, — qui ne réussit à se fixer nulle part et demeura toute sa vie un vagabond évadé de quelque bagne et en perpé- tuelle rupture de ban.

Où donc rencontrera-t-on le vrai moraliste du siècle ? Est-ce Vauvenargues? Voici la réponse de Barbey d'Aurevilly: « Vauvenargues est un esprit distingué, réfléchi, délicat, plus élevé certainement que les hommes de son temps, parce qu'il vécut à l'écart d'eux, mais entre ces quahtés et celles que lui donnait Voltaire, il y avait l'imagination et le caprice de cet esprit de vif- argent et de feu grégeois. Quand on place Vauvenargues à côté de Pascal, La Rochefoucauld et La Bruyère, — ce La Bruyère qu'il a contrefait bien plus qu'il ne l'a imité, — on le trouve aussi petit que l'est son siècle, à côté du siècle de Louis XIV. On ne peut parler que de ce qu'il y a de réussi dans ses œuvres; or, si vous exceptez les Pensées, tout est à peu près avorté. Or, encore quel- ques gouttes d'essence, fussent-elles de l'ambre le plus

(1) Gœthe et Diderot (Dunlii, éditeur, ISSO), p. 131 et suiv.

(2) Ibid., 1.. 135.