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garde lui-même, — et nous a mis en g-arde, —contre les exagérations de doctrine et les partis pris de morale où un zèle intempestif pouvait entraîner les juges les plus clairvoyants. « Mon esthétique n'est point bégueule, — déclare-t-il avec bonne humeur au sujet de Gustave Flaubert et de la Tentation de Saint- Antoine. — Je suis de ceux qui pardonnent à la verve, cette impétuosité de l'esprit, bien des entraînements. Je suis de ceux qui croient que la passion, qui embrase les mots, les purifie, comme le feu allumé purifiait les lèvres du prophète ». Le correctif n'était peut-être pas inutile, de la part d'un homme qui avait passé, sans trop de difficultés ni de remords, de l'apologie de Joseph deMaistre à la peinture û^Une Vieille Mait?^esse et qui s'était fait un jeu de concilier en un triptyque édifiant les Reliquiœ d'Eugénie de Guérin, le Prêtre Marié et les Diaboliques .

Tout bien pesé, pour exprimer en quelques mots l'esthétique de Barbey d'Aurevilly, on peut dire que c'est un mélange curieux, — et parfois confus,— de roman- tisme extérieur et de réalisme interne, ou, — si l'on veut éviter le vague de ces formules nécessairement flottantes, — une doctrine souvent imprécise, mais à deux compar- timents bien distincts : l'un pour la forme des œuvres, qui doit être romantique, l'autre pour le fond, qui doit s'inspi- rer d'une sorte de réalisme psychologique et moral. En définitive, d'Aurevilly n'ajoute à l'esthétique romantique que les tendances de son propre tempérament.

Mais, comme ce tempérament très personnel et ori- ginal se fait jour à chaque instant, éclate et déborde à la moindre occasion, il faut en tenir compte dans la genèse et l'évolution de l'esthétique qu'il a préconisée. Barbey d'Aurevilly est normand, aristocrate et catholique. Ces