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bien étonné que ce ne fût pas un beau bloc de marbre de Pathos; mais le profil fuyant de Guérin dans sa nuée céi'uléenne, ce farouche Endymion qui chassait l'Infini à la suite de la Nature, dans le fond des bois comme au bord des mers, Guérin, le quelque Dieu, car il y en avait un en lui, était dessiné avec assez de crânerie dans cet amphigouri de morale stoïcienne et d'orgueil. Littérai- rement, la chose ne valait rien, cela est sûr; mais pour nous, à des années de là, et quand nous cherchons à ramasser tous les rayons de cette grande physionomie disparue qui nous a laissé dans la mémoire les mille points d'or et les mille orbes de pourpre que le soleil regardé longtemps nous laisse, tournants, dans le fond des yeux, — pour nous, les peintres du souvenir, qui reconstituons notre Guérin, la chose a-t-elle une valeur de circonstance particulière? Je le crois».

Tel est le double aspect, calme et emporté, poétique et batailleur, suave et grondant, — réaliste et romantique, en définitive, — du style si personnel de Barbey d'Aure- villy. Paul de Saint-Victor l'a merveilleusement jugé en trois phrases étincelantes et finement ciselées. « Jamais peut-être, — dit-il, — la langue n'a été poussée à un plus fier paroxysme. C'est quelque chose de brutal et d'exquis, de violent et de délicat, d'amer et de raffiné. Cela res- semble à ces breuvages de la sorcellerie où il entrait des fleurs et des serpents, du sang de tigre et du miel ». En effet, l'auteur de l'Ensorcelée a été un vrai magicien de la langue française. Il l'a ensorcelée, à son usage personnel et exclusif. Et il l'a marquée d'une empreinte si fortement individuelle et à tel point inimitable qu'il paraît bien que de sa magie le secret soit à jamais perdu.