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longue que les autres jours, et moi, ma rêverie plus amère... C'est le jour des Masques pour moi, — pour toi, le jour des Quarante Heures ! Jour double et mi-parti comme l'habit d'un bouffon qui rirait avec un cœur gros et des yeux en larmes. Vêtu, comme Scaramouche, — ici d'un jaune éclatant et joyeux, là d'un noir funèbre. Païen et chrétien à la fois, jour d'éternelle dissipation et d'adoration perpétuelle... Jour des Masques ! 11 est bien nommé... Oh! mon ami, mon cher Léon, ce jour, sinistre dans sa gaieté, pour moi, est rempli, pour toi, de joies saintes! Pour toi, il fait flamber plus fort l'encens de ton cœur embrasé; pour moi, dans le mien, il ne remue, du bout de son doigt ennuyé, que des cendres éteintes... C'est le jour des Masques pour moi, — pour toi, le jour des Quarante Heures! »(1).

11 y a de la noblesse et de l'élévation dans ce style romantique. Au demeurant, Barbey d'Aurevilly ne sau- rait, en bon aristocrate, parler comme tout le monde. Il aime une langue fleurie, imagée, naturelle pourtant: car en tout il déteste l'artifice. Tantôt son syle est brillant et simple à la fois, comme celui qu'on emploie dans les salons. Tantôt, il est incisif, énergique et militaire, comme le veut un noble, fils de soldats. Ces deux caractères traduisent le double aspect de la nature aristo- cratique du descendant des Chouans, qui est simultané- ment un mondain et un lutteur. U Ensorcelée, toute rem- plie du souvenir des guerres civiles, exprime le tempéra- ment combatif de la pensée et du style de l'écrivain. Les Diaboliques, toutes pénétrées des émanations du fau- bourg Saint-Germain, semblent plutôt le fait d'un causeur

(1) Rythmes oubliés (éd. Lemerrc. 1897), p. 15, 16 et 17.— Le Dunanche du Carnaval 1S59.