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celte vieille ménagère qui ira plus de jeune que ses besoins et qui radote de ses lumières, ne comprend pas plus les divines ignorances de l'esprit, cette poésie de l'ame, qu'elle veut échanger contre de malheureuses connaissances toujours incomplètes, qu'elle n'admet la poésie des yeux, cachée et visible sous l'apparente inuti- lité des choses. Pour peu que cet effroyable mouvement de la pensée moderne continue, nous n'aurons plus, dans quelques années, un pauvre bout de lande où l'ima- gination puisse poser son pied pour rêver, comme le héi'on sur une de ses pattes. Alors, sous ce règne de l'épais génie des aises physiques qu'on prend pour de la civilisation et du progrès, il n'y aura ni ruines, ni men- diants, ni terres vagues, ni superstitions comme celles qui vont faire le sujet de cette histoire, si la sagesse de notre temps veut bien nous permettre de la raconter. »(!) A coup sur, l'antithèse qui oppose « la poésie des yeux » à la '<; poésie de l'ame » est bien romantique ; mais ce qui domine dans cette page, c'est la colère de l'homme du passé. Et le style est parfois d'un « Imaginatif » aimant les fortes couleurs; mais il éclate surtout, ici, insolent pour '^ notre époque grossièrement matéria- liste et utilitaire », — et railleur pour « la sagesse de notre temps ».

« La sagesse de notre temps » rejette les superstitions. D'Aurevilly en affirme la valeur surnaturelle, et il le fait d'un ton impérieux et convaincu qui est d'un vrai catholique. '< J'ai toujours cru, d'instinct autant que de réflexion, — écrit-il, — aux deux choses sur lesquelles repose en définitive la magie, — je veux dire : à la tra- dition de certains secrets, que des hommes initiés se

(1) L'Ensorcelée, p. 12 et 13 (éd. Lemerre).