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opérations de l'esprit. Donc, après avoir montré, chez d'Aurevilly, la genèse simultanée do la pensée et du style, l'évolution de la lang-ue en parfait accord avec le développement de la pensée, il est bon d'en éclairer la marche progressive par l'étude de l'œuvre où l'écrivain a rassemblé pour la première fois le faisceau de ses qualités maîtresses, réalisé tout son programme et atteint le summum de perfection dont il était capable. Cette œuvre, c'est V Ensorcelée, écrite en 1S50 et 1851, publiée dans Y Assemblée Nationale en janvier 18.52, et parue en volume au mois d'octobre 1854. Jusqu'alors Barbey d'Aurevilly n'avait pas totalement dégagé sa personna- lité vigoureuse : il la fit rayonner, dans son roman de V Ensorcelée, d'une souveraine puissance qu'il ne dé- passa plus. Ici éclate la pleine maturité de l'auteur, par- venu à l'âge décisif de la quarantaine.

Le caractère le plus saillant de l'Ensorcelée, c'est la poésie mâle et saine dont tout le livre est pénétré. C'est un poème en prose. Cela nous révèle la forme de roman- tisme à laquelle d'Aurevilly s'est définitivement rallié : le romantisme grandiose, surhumain, épique. Dès l'abord, le style de l'écrivain s'élève à la hauteur de son sujet, dans cette description fameuse de la lande de Lessay, si attrayante par la majestueuse horreur dont elle emplit l'âme. « La lande de Lessay est une des plus considé- rables de cette portion de la Normandie qu'on appelle la presqu'île du Cotentin. Pays de culture, de vallées fer- tiles, d'herbages verdoyants, de rivières poissonneuses, le Cotentin, cette Tempe de la France, cette terre grasse et remuée, a pourtant, comme la Bretagne, sa voisine, la Pauvresse-aux-Genêts, de ces parties stériles et nues où l'homme passe et où rien ne vient, sinon une herbe rare et quelques bruyères bientôt desséchées. Ces lacunes de