Page:Grelé - Jules Barbey d’Aurevilly, L’œuvre, 1904.djvu/155

Cette page n’a pas encore été corrigée

- 151 -

national. Un instant, rauteur désorienté do Lca, de la Bague cVAnnibal, de Germaine et de l'Amou?^ Impos- sible faillit succomber à l'entraînement général et sacrifier à l'universel et irrésistible attrait des libres espaces, quand d'une voix triste et d'un coeur affligé, il se plaignait de son existence. «Oh ! pourquoi voyager?» lui disait-on. Et il répliquait amèrement : « C'est qu'on est mal ici ». Puis, énumérant avec ses malaises toutes ses raisons d'aller au loin, il répétait le refrain mélancolique qui sonne comme un glas funèbre :

Voilà pourquoi je veux partir ! (1)

Mais il ne partit pas. Il eut la sagesse de mettre un frein à ses impatiences et de rester sur la terre ferme des aïeux. Il ne voyagea point. A vingt-huit ans, il alla en Touraine chercher une diversion à ses tristesses : il en revint plus malade quïl n'était lorsqu'il avait quitté Paris. Il ne renouvela pas l'expérience avortée. Désor- mais il ne connut plus l'ivresse des voyages, qui ne lui avait laissé au cœur que de cruels déboires. Il ne sortit jamais de France. En France même il hmita son domaine. Par nécessité d'affaires, il erra, en 1846, dans le Niver- nais et à travers la région du Rhône. Par obligation d'amitié, il visita le Midi en 1858. Par besoin professionnel et souci du pain quotidien, il habita Paris pendant un demi-siècle. Seulement, son ame ne vivait et ne s'épa- nouissait que là-bas, à l'extrémité occidentale de la France, dans les plaines brumeuses du Cotentin.

Aussi, n'admet-il pas le système des cosmopolites du XIX" siècle, qui voyagent pour chercher des inspirations

(1) Poésies (éd. Trebutien, 1854). — Poussières (éd. Lemerre, 1897), p. 25 et suiv.