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Pour traduire avec tant de bonheur la vie intime et 1 anie même de la Basse-Normandie, il fallait que Barbey d'Aurevilly lût profondément Normand, sans arrière- pensée d'aristocratie ou de catholicisme, inslinctivement en quelque sorte et presque inconsciemment, par*cette seule raison qu'il avait jeté ses premiers regards d'en- fant sur la belle nature qui l'environnait et respiré à pleins poumons dès sa naissance l'air pénétrant et vif du Cotentin. S'il n'avait été Normand que pour étayer plus solidement ses croyances sociales et religieuses, il n'aurait pas eu cette franche, sincère et naturelle admi- ration du pays natal. On eût surpris quelque contrainte ou quelque artifice dans les hommages qu'il a rendus au sol de la famille et des ancêtres. Son affection pour la vieille province de Normandie n'est pas, sans doute, entièrement désintéressée et dégagée de toute idée extérieure de domination nobiliaire ou cléricale; mais quand, par hasard, comme on vient de le voir, elle laisse derrière soi et hors de ses préoccupations les rêves d'une impossible cité idéale, elle devient plus puissante ; elle nous touche et nous émeut davantage. Alors, d'Au- revilly est tout simplement Normand, — un Normand sans épithète.

Il a, du Normand, l'énergie concentrée et féconde, l'amour du sol, la poésie latente et naïve. Il ne sait pas si l'avenir sera tel qu'il le souhaite ; mais il ensemence son champ, comme si le lendemain devait à coup sûr en faire germer une moisson de vie. Il est tenace dans ses entreprises : la renommée ne lui vient pas, et il ne se décourage point. Il poursuit vaillamment son œuvre, comme le paysan cotentinais ne se lasse pas de continuer ses labeurs sur des marais que les pluies d'hiver n'ont pas fertiUsés. Il sème, il sème toujours : il ignore quand