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religieux, sauvage et comique. P]lles voulaient égorger des volailles, couper des grillades, et se seraient volon- tiers arraché leurs tignasses, parce que la mer n'était dcuis le temps ni des crevettes ni des homards. Malgré leurs airs de sorcières des eaux, j'ai bravement embrassé leurs joues semblables au cuir d'une selle lissée et noircie par trente ans de derrières successifs qui auraient trotté dessus. Leur ai dit que je reviendrais prendre le café avec elles, pour qu'elles ne se fissent pas saillir les yeux de la tête, à force de crier. Parti pour Carleret, éternel comme Barneville, si ce n'est que les maisons blanches, qui faisaient un si éblouissant effet de loin sur la grève, sont grises et se confondent avec les colhnes qui les surplombent. En allant, je ne les voyais pas et me disais : cette moitié de Garteret a-t-elle été engloutie ? Mais en poussant le cheval à travers les flaques d'eau, plissées par la brise du bord de la mer, — celte blan- chisseuse qui plisse si fin, — j'ai distingué les maisons grises, comme les fantômes des anciennes maisons blanches... Le vent soufflait frais. Pas une âme ! Deux bricks sur le flanc, à une portée de pistolet l'un de l'autre, vides tous deux sous leurs agrès ; les matelots partis et en liesse es cabarets de la côte, — manière d'attendre la marée qui redressera les deux gisants sur leurs quilles et les remportera peut-être ce soir... Pievenu chez mes pêcheuses, qui tiennent ensemble, pour les besoins de la côte, tout à la fois une boutique de mercerie et un cabaret. Mes vieilles pêcheuses se sont remises à crier, non plus comme des mouettes, mais comme des goélands, pour me faire manger. Mais je n'ai voulu que du café, qui, par parenthèse, était excellent : un café de marin et peut-être de fraudeur, et de l'eau-de-vie de postillon, le plus rude des sacré-chien, — qui ne m'a point fait