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sorcière coiiverlio et repenlunte, qui surgit diiiis le Préh-e Marié comme uue messagère de l'au-delà, hantée de voix célestes de même qu'elle le fut jadis de voix diaboliques. C'est une créature superstitieuse et bonne, comme la Basse-Normandie en a tant produit. Elle n'a d\^mule, pour la vérité « locale » de son type, que la vieille Agathe, diUnc Histoire sans nom.

Il n'est pas jusque dans ses impressions de séjour a Saint-Sauveur et à Valognes, où d'Aurevilly ne se soit complu à peindre les figures les plus expressives du pays natal. Une vieille pauvresse attire son attention, au sortir de la messe. Il lui fait l'aumône, « avec, — dit-il,

— plus d'impertinence pour les bureaux de bienfaisance que de charité » (1). Ceci, c'est pure vanité d'aristo- crate. Mais les traits de la mendiante se fixent en son souvenir. « En revenant du fond de la rue des Carmélites,

— écrit-il, — j'ai rencontré la vieille pauvresse, à qui j'avais donné à l'église. Je l'ai arrêtée. Elle m'a dit qu'elle avait quatre-vingt-quatorze ans. Elle est encore solide et droite, muis n'a pas un cheveu sous sa coiffe, d'aucun côté. Les yeux sont rouges, mais le regard acéré; et de grandes plaques de couperose marbrent son teint pâle. — Les yeux ne vont plus, — m'a-t-elle dit avec cet accent valognais qui allonge les mots et les écrase, mais qui pour moi est une musique. Je lui ai demandé si elle se rappelait le maire de sa ville qui s'appelait M. du Méril... — « Que vère » m'a-t-elle répondu.

— « Eh bien, lui ai-je fait, regardez-moi, je suis son neveu»; et je lui ai donné vingt sous. Elle a regardé mes vingt sous, — comme nous, nous regarderions un diamant bleu, — et moi, non pas comme le neveu de mon

(1) Relation inédile d'un voyage en Normandie (déccmbro 1864).

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