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toujours. Et, poui" peu que Ton roiiiiaisse la région, qu"oii ait jeté un coup d'œil sur ses vastes prairies ou erré à travers ses riches pâturages, ou sent vivre et palpiter l'àme de cette chère Basse-Normandie qui n"a\ ail pas encore rencontré d'interprète aussi ému. De même, la majestueuse horreur de la lande de Lessay inspire à Barbey d'Aurevilly les plus belles pag-es de VEnsoi'cclée. L'artiste triomphe, ici, pleinement et sans conteste, de l'aristocrate et du catholique. Il oublie un moment ses Chouans pour évoquer la bourgade de Saint-Sauveur-le- Vicomte,, « johe comme un villag-e d'Ecosse » (1). 11 ne songe pas à l'abbé de La Croix-Jug-an, quand il parle des landes au charme mystérieux et effrayant. « Si l'on en croyait les récits des charretiers qui s'y attardaient, la lande de Lessay était le théâtre des plus singulières apparitions. Dans le langage du pays, // y ret-enait. Pour ces populations musculaires, braves et prudentes, qui s'arment de précautions et de courage contre un danger tangible et certain, c'était là le côté véritable- ment sinistre et menaçant de la lande, car l'imagination continuera d'être, d'ici longtemps, la plus puissante réahté qu'il y ait dans la vie des hommes. Aussi cela seul, bien plus que l'idée d'une attaque nocturne, faisait trembler Xei^iedde frêne à-àws la main du plus vigoureux gaillard qui se hasardait à passer Lessay, à la tombée. Pour peu surtout qu'il se fut amzfs^ autour d'une chopine ou d'un pot, au Taïu-cau rouge, un cabaret d'assez mauvaise mine qui se dressait, sans voisinage, sur le nu de l'horizon, du côté de Coutances, il n'était pas douteux que le compère ne vît dans les brouillards de son cerveau et les tremblantes lignes de ces espaces solitaires, nues

(1) L'Ensorcelée, p. 14 (éd. Lemerre).