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les quatre cents personnes environ disséminées dans la nef. Combien y en avait-il là que j'avais connues autre- fois et qui m'eussent vu garçonnet, dans le banc de mon père, avec mes frères, à ces prières de nuit qui étaient pour nous des spectacles ? » (1).

Une autre fois, pendant une nuit claire, il s'en va rôder à travers les rues de sa chère petite ville. « Il me prit fantaisie d'aller faire un pèlerinage nocturne à tous les coins de Saint-Sauveur et de revoir cette bourgade, qui n'est plus qu'un fantôme pour moi, à la lumière des fan- tômes. Ma roderie de revenant a été solitaire. La lune était sous une gaze de nuages gris, le vent plaignant, l'air vif mais non froid. La bourgade était tout entière sous ses contrevents liserés, parleurs fentes, de lumière. Excepté une forge allumée, irradiant par sa porte ouverte, à une des extrémités de cette rue des Lices, où j'ai fait galoper N'éel de Néhou, toute vie était repliée, morne et silencieuse... Je me suis arrêté bien des fois à regarder la physionomie des pignons, l'air des portes sur la clanche desquelles j'avais mis tant de fois ma petite main d'enfant ; j'ai compté les rides de ces maisons que le temps a sillonnées comme des visages... J'ai avalé lentement, en me la distillant dans le cœur, cette coupe de mélancolie... La rivière profonde (Douve Deep) luisait sous la nuée qui cachait la lune. Un bateau à tangue était à l'amarre, et la voile à moitié tendue frissonnait à l'air de la nuit. Revenu. Rêvassé au coin du feu, l'àme pleine des choses mortes et des personnes mortes. Il n'y a que la mort qui soit vivante dans ce singulier monde qu'on appelle la vie ! —Travaillé ; lu, — mais dominé par les pensées que j'avais évoquées dans ma randonnée

(1) Relation inédile d'un voyar/e en Normandie (décembre 1864).