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manière très personnelle et bien à lui. Mais son cœur de iNorinand exigerait davantage : il désirerait se vouer sans reserve au culte délaissé du sol natal.

Par bonheur, si d'Aurevilly est empêché dans ses travaux quotidiens de traduire, comme il le souhaite et aussi souvent qu'il y aspire, l'amour de sa chère Basse- Normandie, il prend sa revanche, une revanche éclatante, dans ses romans et ce qu'il appelle « ses impressions écrites ». Le Mémorandum de 1856 est tout gonflé de sève normande : cela se comprend ; il a été tracé d'une main pieuse sous le ciel de Caen, au cœur même de la province bénie. Mais le Mémorandum de 1858, composé dans le Midi, à Port-Vendres, exprime magnifiquement ou laisse deviner la nostalgie des campagnes coten- tinaises. On s'en étonnerait volontiers, car c'est la première fois que le romancier de V Ensorcelée fait connaissance avec les paysages méridionaux ; seulement, c'est plus fort que lui. Il ne sait pas peindre d'un pinceau enchanteur les rivages de la Méditerranée, comme il peignait si bien les falaises de Carteret. Le Midi lui paraît pauvre; et il nous le représente triste et nu, dans son indigence profonde dont la surface seule s'illumine sous les rayons d'or du soleil. C'est une terre qui n'a qu'un attrait emprunté et un charme d'apparat. Elle ne laisse dans l'âme aucune impression pénétrante et ne remplit le cœur d'aucune émotion forte. Quel contraste avec la Basse-Normandie ! ^

Aussi, dès qu'il peut s'affranchir pour quelques jours de la chaîne d'esclavage qui le retient à Paris et s'envoler comme un canard sauvage vers les marais du Cotentin, on devine si d'Aurevilly a l'ame en liesse. A Saint-Sau- veur-le- Vicomte, tout le ravit : les vieilles amies de son jeune âge, devenues plus touchantes encore, à mesure