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table que peut l'être un preux en ce siècle où « la race » s'anéantit, anémiée au contact du souffle populaire.

C'est alors que, dans un de ses exquis « billets du matin », M. Jules Lemaitre improvisa, pour le divertis- sement de sa cousine et des lecteurs du Ternies, cette courte oraison funèbre , plus piquante qu ' émue : « ...M. Barbey d'Aurevilly vient de rendre à Dieu son âme généreuse et sonore de catholique, de Chouan, de Dandy, de romantique et de mousquetaire. Or, il meurt, après avoir écrit de quoi faire quarante volumes, illustre et inconnu. Il meurt inconnu, après un demi-siècle de conversations empanachées. Car d'abord on ne saura jamais à quel âge il est mort, et s'il est né en 1807 ou en 1811. On ne saura jamais ce qu'il a fait pendant vingt ans de sa vie, de 1830 à 1850... Enfin, on ne saura jamais si cet homme mystérieux; soutenait un rùle (très noble et très innocent, d'ailleurs), ou s'il fut sincère, ni dans quelle mesure il le fut, et ce qui se mêlait de gageure à sa sin- cérité ou de candeur à sa comédie. Il emporte avec lui ces trois secrets. » (1).

Les secrets que, faute de recherches, faute de se ren- seigner, M. Lemaitre ne pénétrait pas en 1889 et qui, à l'en croire, devaient rester toujours ignorés, il ne m'a pas été trop difficile de les mettre à nu pour la plupart. Il y a même certains mystères qu'il devient de jour en jour plus aisé de dévoiler, des replis intimes que l'on commence d'apercevoir en cette âme fermée qui se dérobait aux questions indiscrètes et cachait orgueilleu- sement les souvenirs de sa jeunesse dans la « tour d'ivoire >/ d'un silence impassible. Bien des détails inté-

(1) Jules Lemaitre. — Le Temps, 26 avril 1889. — Les Conlemporains, 5* série (Lecèiie et Outliii, éditeurs).