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LE CIMETIÈRE DE CAMPAGNE.

À vos yeux étonnés ne déroula jamais
Le livre où la nature imprima ses secrets ;
Mais l’avare Océan recèle dans son onde
Des diamants, l’orgueil des mines de Golconde ;
Des plus brillantes fleurs le calice entr’ouvert
Décore un précipice ou parfume un désert.
Là peut-être sommeille un Hamden de village,
Qui brava le tyran de son humble héritage ;
Quelque Milton sans gloire ; un Cromwel ignoré,
Qu’un pouvoir criminel n’a point déshonoré.
S’ils n’ont pas des destins affronté la menace,
Fait tonner au Sénat leur éloquente audace,
D’un hameau dévasté relevé les débris,
Et recueilli l’éloge en des yeux attendris,
Le sort qui les priva de ces plaisirs sublimes,
Ainsi que les vertus borna pour eux les crimes :
On n’a point vu l’épée, ivre de sang humain,
Leur frayer jusqu’au trône un horrible chemin ;
Ils n’ont pas étouffé dans leur ame flétrie
Et la pitié qui pleure, et le remords qui crie ;
Jamais leur main servile aux coupables puissants
N’a des pudiques sœurs prostitué l’encens ;
Et leurs modestes jours, ignorés de l’envie,
Coulèrent sans orage au vallon de la vie.
Quelques rimes sans art, d’incultes ornements
Recommandent aux yeux ces obscurs monuments :
Une pierre attestant le nom, le sexe et l’âge,
Une informe élégie où le rustique sage