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LE CIMETIÈRE DE CAMPAGNE.

Le baiser du retour, objet de leur desir,
Et le soir au banquet la coupe du plaisir
N’ira plus à la ronde égayer la famille.
Que de fois la moisson fatigua leur faucille !
Que de sillons traça leur soc laborieux !
Comme au sein des travaux leurs chants étaient joyeux,
Quand la forêt tombait sous les lourdes coignées !
Que leurs tombes du moins ne soient pas dédaignées ;
Que l’heureux fils du sort, déposant sa grandeur,
Des simples villageois respecte la candeur ;
Que le sourire altier sur ses lèvres expire :
Biens, dignités, crédit, beauté, valeur, empire,
Tout vient dans le lieu sombre abymer son orgueil :
O gloire ! ton sentier ne conduit qu’au cercueil.
Ils n’obtinrent jamais, sous les voûtes sacrées.
Des éloges menteurs, des larmes figurées ;
Les ministres du Ciel ne leur vendirent pas
Le faste du néant, les hymnes du trépas :
Mais perçant du tombeau l’éternelle retraite,
Des chants raniment-ils la poussière muette ?
La flatterie impure, offrant de vains honneurs,
Fait-elle entendre aux morts ses accents suborneurs ?
Des esprits enflammés d’un céleste délire,
Des mains dignes du sceptre, ou dignes de la lyre,
Languissent dans ce lieu par la mort habité.
Grands hommes inconnus, la froide pauvreté
Dans vos ames glaça le torrent du génie ;
Des dépouilles du temps la science enrichie