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avec Baillet ? J’aurais été vous chercher à la gare. Et rien de tout cela ne serait arrivé.

Vous ne savez pas combien je suis navré de ces choses. Je ne vous connais pas, mais j’ai pris l’habitude de vous écrire, d’aimer votre esprit, et ç’eût été une grande joie pour moi de vous recevoir.

Ne m’en veuillez pas de mon silence. Vous ne pouvez comprendre, je ne comprends pas moi-même ce que j’ai, et quelle crise d’affreuse tristesse, sans cause, je traverse, depuis près d’un an. Je ne fais plus rien…, plus rien… Et pourtant je ne suis pas paresseux. Je suis malade. Pissarro était chez moi ces temps derniers. Il a (ici un mot indéchiffrable) à ma vie, à ma tristesse ; il était navré de me voir ainsi.

Mais je veux surmonter cela, pour vous. Et je veux vous écrire une belle préface. Dès mon prochain voyage à Paris, je vous avertirai et nous irons ensemble chez Charpentier.

Je pars après-demain passer quelques jours avec mon père, à Breymalard (?). Je repasserai par Paris. Vous recevrez un mot qui vous donnera un rendez-vous. Et nous conviendrons d’une journée à passer aux Damps avec Baillet.

Dites-moi que vous avez oublié tout ce malentendu, et recevez l’assurance de mes sentiments sincères et affectueux.

Octave Mirbeau.

Devant une lettre pareille, je ne pouvais que m’excuser d’avoir été plutôt rude dans ma carte postale, et attribuer au mauvais service de la poste la disparition des lettres qui le prévenaient de ma visite.

Quant à la préface, il tint parole. Elle était magnifique. Mais je ne le vis pas à Paris. Nous n’allâmes pas chez Charpentier.

Pauvre Mirbeau ! Je crois qu’il avait souvent de ces accès de neurasthénie. Plus tard, au temps des premiers jours du Journal, de Xau, j’y allai le voir quelquefois. Un jour il me raconta ses insomnies, les hallucinations qui le hantaient. Il me fit l’effet d’un homme sur la pente de la folie.

Ce fut vers cette période qu’il donna au Journal toute une série de nouvelles, déjà parues dans l’Écho de Paris. Ce qui lui valut un procès de la part de Letellier.

La Société mourante terminée, j’écrivis le brouillon de mon roman La Grande Famille.

Mes six mois de détention terminés, je réintégrai la rue Mouffetard et ma place au journal.