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et les changeants désirs de l’enfance, Comme tant d’autres, il n’a connu, lui aussi, des joies familiales, que le spectacle si quotidien du père qui se lève dès l’aube, pour rentrer le soir muet de fatigue, et d’humeur instable ; d’une mère fragile, inquiète provinciale, que la vie fiévreuse du faubourg et l’obscur logis courbent lentement vers les colloques secrets avec la mort ; d’une jeune sœur qu’il faut surveiller, au défaut de la mère rivée aux travaux d’aiguille : menue et persistante pluie de tristesses qui tombe sur les jeunes têtes pour en faire, plus tard, des révoltés ou des vaincus.

Tour à tour placé chez un mécanicien, un forgeron, un cordonnier, le petit Grave mène la rude vie de l’apprenti ; les brimades des camarades et l’incohérente autorité des patrons l’ont enseigné mieux que les philosophes sur les hommes ; de sens droit, il hait l’injustice et l’arbitraire et son indignation d’enfant, quand de solides lectures l’auront éclairé sur les inégalités inexpiables d’une société qui ne repose que sur des intérêts et des appétits, s’affirmera latente dès l’adolescence, pour le poser définitivement en réfractaire.

Il vit la Commune avec son père, insurgé ; un an plus tard il perd successivement sa mère et sa sœur qu’il a veillées jusqu’au dernier jour. Puis il part soldat. Il a consigné, dans la Grande Famille, toutes les rancœurs, toute sa haine. Qui pourrait l’en blâmer quand de bourgeois écrivains comme Lucien Descaves ou Abel Hermant ont signé les pénétrants et accablants témoignages que sont Le Cavalier Miserey et Sous-Off ?

Libéré par dispense, seule vraie fortune peut-être qu’il ait eue sans partage, il revient à Paris où il peut vivre, selon son humeur, avec des camarades d’idées. Il crée là, avec eux, un foyer actif de propagande, le Groupe d’Études des Ve et XIIIe arrondissements dont il est le secrétaire, où la bataille connaît enfin un but, celui que Jean Grave s’est assigné, l’organisation du parti anarchiste. Celle-ci, paradoxale en apparence, n’en fut pas moins, à l’origine, l’idéal qu’il se flattait d’atteindre. Et de grands noms viennent sous la plume ; Caffiero, Tcherkesoff, Malatesta, Kropotkine, Élisée Reclus, les apôtres de l’anarchie, par leur parole, par leur action, leurs secours servent avec enthousiasme le jeune propagandiste.