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serait pas convenable d’offrir un pourboire à leur cicerone bénévole !

Comme je l’ai constaté pour Kropotkine, Reclus ne se targuait jamais de son grand savoir, et n’en tirait aucune vanité. Il savait écouter les objections d’où elles venaient et y répondre sans morgue, sans le ton tranchant de celui qui émet les arrêts.

Tous ceux qui l’ont connu, ont parlé de sa grande bonté, de sa tolérance. Il faut y ajouter la simplicité de ses manières,

« Sa bonté et sa tolérance ! » j’avouerai qu’elles me portèrent parfois sur les nerfs, et nous mirent assez souvent en contradiction l’un avec l’autre.

Que chacun ait le droit de penser comme il l’entend et de l’exprimer à sa façon, cela est entendu. Ce n’est pas nous, qui nous réclamons de la liberté, qui avons à nous élever contre cela.

Mais, lorsque des imbéciles, ou des gens payés pour cela, viennent dénaturer vos propres idées, les déformer, annihiler la propagande que vous faites, faut-il leur laisser faire leur besogne sans protester ?

Je ne parle pas de leur imposer silence en en venant aux moyens violents, quoiqu’il y ait des cas où les gaillards n’auraient que ce qu’ils méritent, mais, tout au moins, les remettre à leur vraie place, en se désolidarisant d’avec eux et de leurs élucubrations. Agir autrement, c’est de la bêtise ou de la faiblesse.

La bonté ! la tolérance ! tant que l’on voudra dans les circonstances ordinaires de la vie. Mais en matière de propagande, dans un mouvement traqué comme fut le nôtre, trop de tolérance devient dangereux et même criminel.

C’est surtout sur la question du vol que nous nous trouvions souvent aux prises. — « Voleurs », m’écrivait-il, « nous le sommes tous, et moi le premier, travaillant pour un éditeur et tâchant d’avoir un salaire, dix fois, vingt fois la paye ordinaire d’un honnête homme. Tout est vol ! »

L’argument était diablement tiré par les cheveux. Si Reclus se faisait payer un peu mieux que le terrassier, cela ne prouvait pas qu’il fût un voleur, mais qu’il était, grâce à certaines circonstances, un peu moins volé que d’autres. Son argumentation venait d’un excès de scrupules, tout à