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J’avais reçu, deux ou trois fois, la visite d’un garçon qui venait de Nancy : il s’appelait Duval. Désemparé, il ne rêvait que d’accomplir quelque acte désespéré. Il fréquentait surtout le Groupe de Levallois-Perret.

Nous discutions des idées. Il me paraissait convaincu et sincère. Mais il ne s’ouvrit jamais à moi de l’acte qu’il projetait. Ce fut par les journaux que j’appris qu’il avait cambriolé l’appartement de Madeleine Lemaire, connue comme peintre de fleurs.

Cela se passait en 1887. Duval fut tout de suite soupçonné, et, un jour, reconnu par le policier Rossignol qui sauta sur lui. En se défendant, Duval blessa légèrement son agresseur, Mais le policier n’était pas seul. Duval fut ligoté et emmené au Dépôt.

Au procès, il se défendit énergiquement, revendiquant son acte, proclamant qu’il avait agi pour la propagande, et faisant une profession de foi anarchiste. Il excita un grand enthousiasme parmi les camarades.

Par contre, ceux de la clique guesdiste, qui avaient réussi à s’introduire dans la rédaction du Cri du Peuple, tombèrent à bras raccourcis sur Duval, faisant chorus avec les journaux bourgeois, le présentant comme un vulgaire voleur, et essayant, en même temps, de salir les anarchistes.

Leur attitude était d’autant plus inconcevable, que Duval ne se réclamait ni d’eux, ni de leurs théories. Ils pouvaient, pour leur compte, se désolidariser des principes qu’il professait, mais la façon dont ils le faisaient était ignoble.

Écœuré de leur mauvaise foi, je pris sa défense dans un article du Révolté, intitulé : « Encore un mot au sujet du vol et des voleurs », où tout en faisant des restrictions, je me laissais aller à légitimer l’acte de Duval. Ce qui me fut reproché, plus tard, lorsque j’attaquai les théories individualistes sur le cambriolage.

Duval fut condamné aux travaux forcés. Le verdict lui fut lu dans la cellule où on l’avait revêtu de la camisole de force, sur l’ordre du président qui l’avait fait expulser du tribunal à cause de son attitude énergique.