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J’en reviens aux débuts du journal à Paris.

Les premiers numéros furent composés et tirés chez un petit imprimeur de la rue des Patriarches, qui fit faillite au quatrième numéro, — le journal n’y était pour rien.

Fatigué des petits imprimeurs, j’allai dans une imprimerie assez importante, chez un nommé Couchoud, rue Delambre. Mais, dès le deuxième numéro, il m’avisa que le journal lui faisait du tort auprès de sa clientèle, qu’il serait très heureux que j’eusse à le transporter ailleurs. Ne voulant pas me mettre dans l’embarras, il me donnait le temps de chercher. Le plus tôt serait le mieux.

Ce fut à ce moment, je crois, que Loth et Rieffel — deux camarades ayant appartenu au groupe qui avait édité Terre et Liberté, — m’offrirent leur imprimerie. Mais il fallait trouver un imprimeur pour le tirage. J’allai échouer chez un nommé Reiff, place du Collège de France.

Au sixième numéro, il refusa de me livrer le tirage et les formes parce que je ne pouvais le payer entièrement. Il me manquait une cinquantaine de francs. Les difficultés financières se faisaient déjà sentir.

Je me rendis chez le camarade Bérard qui pouvait largement me prêter la somme que je lui demandais. Mais « il n’était pas en état de disposer des 50 francs ! » Il me conseilla de m’adresser à Demongeot, qui tenait un grand café prospère. Lui, non plus, ne pouvait disposer d’aucune somme.

Ce fut ma femme qui me tira d’embarras. Elle me donna ses boucles d’oreilles, deux bagues et un bracelet, les seuls bijoux qu’elle avait. Je les portai au Mont-de-Piété. Je pus dégager le tirage et les formes et ne remis plus les pieds chez Reiff.

Ce n’était pas tous les jours la noce. Peu de temps après notre retour à Paris, nous n’avions pas le sou, et, ce jour-là, rien à manger à la maison. Il nous arriva un pauvre mandat de quelques francs tard dans l’après-midi. Inutile de dire que je ne perdis aucun temps pour aller le toucher… et le dépenser.

Le journal tirait à 5 000 et commençait à se vendre.