Page:Grave - Le Mouvement libertaire sous la IIIe République.djvu/58

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Et de cela nous avons besoin, ajoutai-je, en m’en emparant et le plaçant à côté de moi.

— De cela aussi, continuai-je, en poursuivant mon inspection et mon tri parmi les « pièces à conviction ». Toute la raideur du bonhomme s’était passablement atténuée. Il me regardait d’un air stupéfait. Cependant, le sentiment de « sa dignité » sembla le reprendre, et il me commanda de laisser sa paperasse tranquille et de reprendre ma place. « Vous êtes prévenu », ajouta-t-il.

Après pas mal de paroles oiseuses, — l’entrevue avait duré plus d’une heure — nous arrivâmes à la conclusion :

— Vous signez votre interrogatoire ?

— Non.

— Vous refusez ! Pourquoi ?

— Parce que je subis vos formalités, mais n’y prête pas la main.

— Alors, vous refusez de signer ?

— Parfaitement.

Après une pause :

— Vous êtes libre, fit-il. Vous pouvez vous retirer.

Sadier et Perrare qui étaient arrivés après moi, et, comme moi, bouclés dans des placards, passèrent à leur tour. Avec eux ce fut vite bâclé. Mais, comme moi, ils refusèrent de signer leur interrogatoire, ce qui leur valut d’être « rebouclés » dans leur placard. Ils furent enfin relâchés, après avoir, à nouveau, confirmé leur refus.

Le résultat de tout ce tintamarre fut l’expulsion de quatorze des réfugiés allemands arrêtés. Elle fut suivie de la mienne, mais elle ne vint que plus tard, alors que j’étais déjà en France.

Devant la saisie journalière de notre courrier, Reclus et moi décidâmes de transporter le Révolté à Paris. Comme j’ignorais si je ne serais pas arrêté au dernier moment, des camarades allèrent prendre, d’avance, mon billet et celui de ma femme. Ils nous firent monter dans un compartiment vide. Ayant mis le nez à la portière lorsque le train fut en marche, je vis une pancarte portant l’inscription : « Dames seules ».

J’enlevai la pancarte, que je cachai sous un coussin, le train continuant sa marche vers Paris. C’est ainsi que nous quittâmes le territoire de la libre — oh ! combien ! — Helvétie !