Page:Grave - Le Mouvement libertaire sous la IIIe République.djvu/36

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à distribuer les vivres commandés. J’étais en train de recevoir les miens, lorsque j’entendis appeler : « Vaillat » ! Tiens ! fis-je en moi-même, je ne suis pas le seul. Puis, ce furent Crié, Hémery-Dufoug, C’est ainsi que j’appris quels étaient les camarades qui faisaient partie de la fournée. Quelques instants après ce fut le nom de Gautier qui fut lancé. Mais Gautier était à Lyon.

Je n’avais pas encore eu le temps de goûter à mon café, lorsque, au bas de l’escalier, une voix appela : Grave !

Je descendis, un gardien me conduisit vers une espèce de cellule où m’attendait un grand monsieur, que je ne reconnus pas sur le moment. C’était M. Blancard des Salines, mon juge de la veille. Mais ce fut par les journaux que j’appris son nom.

— Que demandez-vous de moi ? finit-il par articuler.

— Moi, je ne vous demande rien,

— Ah ! et il me toisa de plus belle.

Après un silence, il reprit :

— J’avais donné l’ordre de vous conduire à Mazas — à Mazas on est beaucoup mieux qu’au Dépôt — J’y suis allé pour vous faire mettre en liberté. Ne vous y ayant pas trouvé, je suis vite accouru ici.

Il fit une pause, attendant quelque réplique.

À part son métier, ce juge, après tout, ne me semblait pas un mauvais diable. Se déranger pour nous faire élargir, cela marquait quelque peu de conscience.

Et, malgré ma raideur de commande, je me laissai aller à articuler un « Je vous remercie, monsieur », un peu sec. Après tout, c’était un juge. Et, lui tournant le dos, je m’apprêtais à sortir.

Mais il avait un discours à me sortir. Le gardien me barra la porte.

Tout ce que je me rappelle, c’est qu’il n’avait pas trouvé de motifs pour nous garder, mais qu’il était possible que, moi et mes camarades, soyons rappelés, que nous devions nous tenir à la disposition de la justice, etc., etc…

Puis, me faisant un grand salut :

— Au revoir, monsieur.

— Je ne tiens pas tant que cela à vous revoir.

C’était parfaitement malgracieux, cela j’en conviens, Surtout à l’égard d’un homme aussi aimable. Il en parut déconcerté, mais, ma foi ! c’était parti avant que j’eusse eu