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Nous fûmes arrêtés un samedi. Il n’était pas encore cinq heures du matin lorsque je fus réveillé par des coups frappés à ma porte.

Je ne fus nullement surpris. Il m’était déjà arrivé de recevoir, à pareille heure, la visite de camarades de province, débarquant à Paris. Ce ne fut donc que pour la forme que je criai : « Qui est là ? »

— Ouvrez ! j’ai à vous parler.

Sans défiance, n’ayant qu’à allonger le bras, j’ouvris la porte à ce visiteur matinal.

Ils étaient deux qui firent irruption, se plaçant devant mon lit. L’un, une main étendue, comme pour me bénir, chose qui, je suppose, était loin de son intention. De l’autre main, il tenait un papier : « Au nom de la loi, je vous arrête, ne faites pas de résistance. J’ai le mandat d’amener ! »

Tout cela d’une seule traite, comme si cela n’avait fait qu’un seul mot. Il allait, il allait, faisant du cent cinquante à l’heure. Je puis m’être trompé, mais il me sembla que le bonhomme avait un fameux trac.

Assis dans mon lit, je regardais mes deux types, leur trouvant plutôt une « sale gueule ».

— Au nom de la loi, ne faites pas de résistance…, réitéra celui qui avait déjà pris la parole, toujours à la vitesse d’un express,

— Oui, c’est entendu. Mais où est le commissaire ?

— Je vous arrête. J’ai le mandat d’amener…

— Vous me l’avez dit, déjà, je ne sais combien de fois. Où est le commissaire ?

— Je vous arrête. Pas de résistance…

— Où est le commissaire ? Je veux le commissaire,

— Il est en bas. Faites pas de résistance…

Après tout, être arrêté avec ou sans commissaire, cela n’avait qu’une importance minime. Un peu plus, un peu moins de légalité, ça n’en couvrait pas moins le même arbitraire. Ayant, par acquit de conscience, encore une fois réclamé le commissaire Benoiton, je me décidai à m’habiller et à suivre mes sbires.

Face à ma demeure était la manufacture nationale des