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taient, qui vint un jour me trouver au journal et me dit :

— Connaissez-vous les Russes qui sont venus me trouver pour me demander de souscrire à un journal, en leur langue, qu’ils veulent publier ? Nous avons assez à soutenir les nôtres, sans être « tapés » pour d’autres qui nous touchent de moins près.

Estomaqué, je le regardai sans trouver quoi lui répondre !

Il m’avait toujours dit que le seul journal révolutionnaire qui l’intéressait, c’était « Les Temps Nouveaux ». Or, il n’avait jamais donné un sou, ni même payé l’abonnement de l’exemplaire dont je lui faisais le service. J’aurais pu lui demander quels étaient les journaux qu’il soutenait ?

Je me vengeai en faisant prendre le remboursement, par la poste, de l’abonnement, qu’il paya quelque temps du reste.

« Il n’y avait qu’à supprimer l’envoi à ceux qui ne payaient pas », me dira t-on, et c’est ce qui me fut conseillé plus d’une fois.

Si j’avais mené une affaire commerciale, c’est ce que j’aurais fait. Mais c’était un journal de propagande que je dirigeais. C’est tout différent. En ce qui concernait les vendeurs surtout.

Si ce vendeur plaçait cinq, dix, vingt exemplaires, parfois plus, en lui supprimant l’envoi, c’était autant de lecteurs que nous perdions. Autant de perdu pour la propagande, car nous ne trouvions pas toujours à remplacer le vendeur.

Quelques-uns nous coûtaient, en frais de lettre, autant, si non plus, que ne nous rapportait leur vente. Mais nous avions des lecteurs.

Il y avait aussi le bouillonnage. Que de fois les gens « pratiques » me disaient de limiter le tirage au chiffre de la vente. Seulement, j’avais remarqué une chose : Lorsque je réduisais le chiffre d’exemplaires à mettre en dépôt chez Hachette, aussitôt correspondait une baisse dans la vente. L’idéal aurait été d’être assez riche pour doubler les dépôts afin d’augmenter notre circulation. C’est pourquoi, bien que le bouillonnage de nos journaux fût un des grands griefs de ceux qui « savaient mieux », j’ai préféré mener une vie de mendiant, tant que je pus éviter de diminuer notre propagande.