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Nous fûmes de longues années avant de nous rendre compte de tout le mal qui avait été fait dans nos rangs. La première perception que j’en eus, ce fut lorsque Liard-Courtois revint du bagne. Il me stupéfia par le nombre d’anarchistes qu’il y avait rencontrés, envoyés là pour vol, faux-monnayage et autres actes semblables.

Que parmi ceux-là il s’en trouvât qui ne faisaient qu’obéir à leurs appétits, n’ayant pas eu besoin de cette propagande pour être pervertis, nul doute. Mais le nombre était grand encore de ceux qui s’étaient laissés prendre aux sophismes des agents de la Tour Pointue.

« Planter un drapeau »[1] chez son gargotier, est une pratique courante chez quelques-uns. Des camarades de la Chambre syndicale des menuisiers qui, à beaucoup de points de vue, étaient de bons camarades, honnêtes dans les circonstances ordinaires de la vie, ne se mirent-ils pas à ériger en principe l’estampage des marchands de vin ?

C’était en 85-86. Ils s’abonnaient aux maisons de vente à crédit. Une fois la marchandise livrée, ils s’arrangeaient pour ne plus payer.

Parmi eux s’était constitué le groupe des « Pieds-Plats », nom tiré de cette locution d’argot : « Je ne marche pas. J’ai les pieds plats ». Eux ne marchaient pas pour payer leurs restaurateurs.

Quand ils avaient trouvé un gargotier confiant, au crédit facile, ils faisaient monter la note le plus qu’il leur était possible, puis disparaissaient lorsque le gargotier commençait à montrer les dents, à son tour, ne « marchant » plus.

Mais quelques-uns ne s’en tenaient pas là. C’était un principe pour ceux-là, lorsqu’ils allaient chez le marchand de vins, — et ailleurs, je suppose — de rafler tout ce qu’ils pouvaient. Couteaux, fourchettes, serviettes, litres de liqueurs s’il s’en trouvait à leur portée. Tout leur était bon.

  1. Se faire ouvrir un compte et disparaître sans payer.