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pour se « rendre intéressant », et ne se rappelant pas exactement, il était forcé de suppléer à son manque de mémoire.

Ayant beaucoup de bagout, il avait du succès à la tribune. Il sut se faire bientôt un entourage de disciples qui ne juraient que par le maître, et l’écoutaient comme un oracle.

Lorsqu’il fonda son journal L’Anarchie, il n’avait pas encore donné la pleine mesure de son individualisme. Les premiers numéros ne détonnèrent pas trop. C’était dans les groupes que l’on prêchait les excentricités qui, par la suite, finirent par s’épanouir dans le nouveau journal.

Dans son local, se réunissaient tous ceux qui couvraient leur vie d’expédients de l’étiquette anarchiste. Après certaines expéditions on s’y partageait le produit de l’« opération ». Mais j’aurai à en parler au chapitre des « mouchards ».

Libertad m’envoyait de ses acolytes pour m’acheter des brochures. J’avais refusé de lui en vendre à lui. Mais ses émissaires étaient faciles à reconnaître. Sales, déguenillés, hirsutes et mal peignés. Ne pouvant leur demander des papiers d’identité, je leur délivrais ce qu’ils demandaient.

Pour payer, ils plongeaient leurs mains dans leurs poches, ils les ressortaient pleines de sous, de pièces d’argent et d’or mêlés ensemble. Je suppose que c’étaient des lendemains d’« opérations fructueuses » ! Il est vrai que le même individu ne revenait jamais deux fois. Il est à supposer qu’il y a souvent des « accidents » dans le métier.

Les discussions de la salle Horel resurgirent — développées et embellies — dans L’Anarchie. On y discutait de morale ! On pouvait prostituer sa mère, sa femme, sa sœur ou ses filles aux bourgeois en vue de leur reprendre une partie de ce qu’il nous ont volé. Sous prétexte d’amour libre, on prétendait que la femme est à tout le monde ! Ô logique des théoriciens des droits de l’Individu !

Du reste, pour vivre, tous les moyens sont bons. Si ça vous rapporte d’être mouchard, pourquoi pas ? Il n’y a pas de sots métiers.

Pratiquant la devise des jésuites sans s’en vanter, les individualistes trouvent « que la fin justifie les moyens ».