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Mais, vingt ans après, la vérité commençait à se faire jour. Les journaux anarchistes espagnols avaient ouvert une campagne en vue d’arracher du bagne ceux qui s’y trouvaient encore. Ne serait-il pas bon de venir en aide aux camarades espagnols ?

Aussitôt dît, aussitôt fait. L… commença par publier le récit de l’affaire, comment ça s’était passé, comment la vérité avait fini par percer.

Puis, nous résolûmes d’ouvrir une campagne de meetings. Appel fut fait au concours de ceux qui pouvaient avoir quelque influence sur le public. De Pressensé, Clemenceau, Jaurès, le Dr  P. Reclus, et quelques autres de l’affaire Dreyfus s’inscrivirent pour cette campagne de libération. Pour commencer, cela fut dur à décrocher, mais une fois en branle, cela marcha on ne peut mieux, La presse quotidienne finit par s’en mêler.

Pour Clemenceau, nous étions allés le trouver, le camarade L… et moi. Il fut du reste charmant, disant qu’il n’avait rien à me refuser. Et, en effet, il entama aussitôt une série d’articles dans la Dépêche de Toulouse.

Notre campagne fut certainement d’un grand poids pour la mise en liberté des prisonniers.

Par la suite, nous ouvrîmes une souscription pour eux. En février, nous lancions le premier appel ; à la fin d’août, nous avions ramassé près de 2 000 francs. C’était maigre comparé aux souscriptions des journaux bourgeois. C’était magnifique pour nous. Surtout si on considère que nous avions toujours deux ou trois souscriptions en train.

Nous en avions fini avec les tracasseries. La police et la magistrature nous laissaient tranquilles. J’avais oublié le chemin des cabinets des juges d’instruction et de la Cour d’Assises. Il fallut l’arrivée de Clemenceau au Ministère pour m’apprendre le chemin de la Correctionnelle.

Il y avait juste deux ou trois semaines qu’il était au pouvoir, lorsque je fus appelé chez je ne sais plus quel commissaire aux délégations. J’y subis un interrogatoire serré : quels étaient mes moyens d’existence, etc., comme s’il s’était agi d’un criminel. J’avais négligé de faire le dépôt du journal depuis un certain temps.