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Voyant que mon état de santé restait le même, j’en suis sorti il y a quinze jours, mais quelques jours après j’y suis rentré d’urgence, enflé comme un ballon. Me guérirai-je ? Je suis anémié à tel point que c’est bien problématique.

Avant d’entrer à l’hôpital, j’étais dans un triste état. Depuis six mois je traîne sur ce rocher une misérable existence. Ici, celui qui veut tenir une ligne de conduite correcte, ne pas accepter de place — ce qui est considéré par l’administration comme une faveur — ne pas spéculer sur ses compagnons de chaîne, et qui, alors, est obligé de se contenter du régime de l’administration, celui-là est forcé de succomber au bout de quelques années.

Je ne regrette rien. Je n’ai fait que ce que je devais faire. Ce serait à recommencer, je ferais la même chose. Je ne crains pas la mort. Si je suis condamné, qu’elle vienne le plus tôt possible. Cependant, c’est regrettable de mourir ainsi, après tant d’années de souffrances passées au bagne.

Je t’envoie un certificat du médecin-major constatant mon état de santé. Vous pouvez en user pour hâter la solution de l’affaire pour laquelle vous faites des démarches. C’est dans ce but que je vous l’envoie.

De l’avis du médecin-major, il n’y a que cela qui pourrait me rétablir, mais je crois qu’il ne faudrait pas trop tarder. Pourtant, j’ai été condamné aux travaux forcés. Je n’ai pas été condamné — à mort — car tu dois te figurer les soins que l’on nous donne à l’hôpital, et j’ai l’organisme complètement ruiné par le régime et le climat.

J’attends une réponse.

Bonjour aux camarades et, pour toi, une fraternelle poignée de mains.

Théodule Meunier, N° 26.761.

Il y a à bord de la Loire (bateau qui amène le convoi des transportés), un major appelé…, homme aux idées larges, intime, je crois, de… Il est bien connu des condamnés. Si vous aviez quelque chose à me faire dire, que vous ne vouliez pas le confier à une lettre passant par l’administration, vous pouvez vous fier à lui.

Îles du Salut, juillet 1906.
Mon ami,

J’ai reçu ta lettre. Espérons que tu réussiras. Dans le cas contraire, j’essaierai moi-même de sortir de cette situation d’une façon ou d’une autre.

J’en ai assez. Je n’ai pas à compter sur l’administration. J’ai demandé mon désinternement au nouveau directeur, Il m’a dit qu’il jugeait à propos de me garder aux Îles ; que, du reste, j’avais toujours conservé les mêmes opinions depuis que j’étais