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laisser continuer une polémique stupide, mais comme depuis longtemps il éprouvait le besoin de tenter autre chose que du journalisme, ce différend accéléra son départ plus qu’il ne le suscita. Il avait, je ne sais plus à quel propos, attaqué les Juifs en tant que Juifs. J’avais laissé passer l’attaque, pensant bien que nous arriveraient des protestations. Ce qui ne manqua pas.

Delesalle me dit qu’il s’en irait si je n’insérais pas sa réponse. Je l’engageai à réfléchir, lui exposant mes raisons, que je ne voulais pas faire des Temps Nouveaux une succursale de la Libre Parole. Il persista dans sa résolution.

Charles-Albert me proposa Dunois pour remplacer Delesalle. Ce Dunois, je l’avais connu très jeune, alors qu’il était encore au lycée. Il venait souvent au journal acheter des brochures. C’était un enthousiaste anarchiste. Il était fils d’un juge de la Nièvre.

Je le perdis de vue, puis appris qu’il était devenu secrétaire d’un député. Quand Charles-Albert me le présenta, il était employé au ministère de la justice et, redevenu anarchiste, m’affirma son parrain.

Bon Dieu ! ce que je me mordis souvent les doigts d’avoir été chercher un collaborateur parmi les fonctionnaires !

Sans idées personnelles, il avait une facilité de plume qui lui permettait d’écrire des articles sur n’importe quel sujet, sans vues originales mais qui se lisaient avec facilité. Nous eûmes bien quelques discussions, mais il fut toujours libre d’écrire ce qu’il voulait.

Il partit en vacances en Savoie, je crois. En s’en allant, il m’énuméra tous les travaux qu’il allait entreprendre pour le journal, tous les sujets d’articles qu’il avait en vue, les notes pour le mouvement social qu’il allait ramasser, la revue des périodiques dont il allait s’occuper. C’était mirifique !

Quelle ne fut pas ma stupéfaction, lorsque, peu de temps après, je lus dans le journal des jeunes bourgeois dont j’ai parlé, plusieurs articles où les Temps Nouveaux prenaient quelque chose pour leur rhume. « Un journal pour vieilles dames sentimentales ! » L’auteur n’était autre que M. Dunois.