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plus ou moins longue avait fait connaissance d’un chanteur de l’Opéra qui mettait sa bibliothèque à ma disposition. Je m’empressai d’accepter.

Avec Stock nous avions échangé quelques lettres aigres-douces, mais nous avions fini par nous raccommoder. Il m’écrivit qu’il m’envoyait une caisse de livres. Gauche, relâché, lui aussi, me promit de m’envoyer ce que je voudrais.

Si bien qu’un jour je fus appelé chez le directeur. L’ami de Méreaux m’envoyait une caisse de livres. Celle de Stock était également arrivée. Le directeur s’était mis en devoir d’en vérifier le contenu, afin de s’assurer que cela ne contenait aucune littérature qui ne serait pas convenable pour un enfant de mon âge.

Et ne voilà-il pas que, de la caisse de Ragneau — l’ami de Méreaux — le directeur sort un volume de Kraft-Ebbing, sur les invertis !

— Impossible de laisser passer cela. Et il le mit de côté. Puis un autre, encore un autre.

Mais les deux caisses effrayèrent le courage du directeur. Après avoir vidé la moitié d’une d’elles, il y replongea les volumes sortis, même ceux qu’il n’avait pas jugés dignes de ma lecture.

— Tenez ! emportez tout cela. Et il fit venir un gardien auquel il commanda de prendre un panier assez grand pour m’aider à les emporter.

Comme nourriture, à midi nous avions un plat de viande, beefsteak généralement, un plat de légumes et un demi-litre de vin. Le vin devait faire la journée. C’était plutôt maigre. Mais, comme je l’ai dit, Breton nous sauvait par les vivres qu’il recevait du dehors.

Pour mon compte, il m’aurait été difficile d’ajouter au menu. Je n’aurais pas eu un sou à moi si Reclus ne m’avait envoyé dix francs par mois. Gauche avait bien mis sa bourse, ainsi que sa bibliothèque à ma disposition, mais, avec les dix francs de Reclus je pouvais parer aux petites dépenses. J’acceptai le prêt de la bibliothèque, je remerciai pour l’argent.

Nous étions absolument libres dans notre quartier, les gardiens ne venant que pour porter nos repas ou quelque autre commission.

Les journaux n’étaient pas encore permis lorsque j’arri-