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plats et Saint-Auban nous recommandèrent d’être calmes.

Ramenés devant le tribunal, le vote du jury nous fut lu. Nous allions être libérés sitôt les formalités de la levée d’écrou opérées.

Nous allions être libérés ! Ceux qui n’avaient pas d’autre condamnation. Les récidivistes comme moi auraient à réintégrer Mazas. Matha était dans le même cas que moi.

On nous fit ressortir pour introduire les cambrioleurs et leur lire leur sentence.

Saint-Auban me dît que le jury n’avait statué que sur mon cas, mon acquittement ayant entraîné celui de mes coaccusés. Mais je n’avais été acquitté qu’à une voix, celle du président du jury, il me parla aussi de je ne sais plus quelle irrégularité : Bulot ou le président du tribunal s’étant présenté pendant que délibérait le jury. Du reste cela n’avait plus aucune importance puisque nous étions acquittés. Le verdict fut accueilli par un soupir de soulagement dans toute la presse. C’était la ruine de la tentative de réaction que préméditaient les sphères gouvernementales.

Les formalités pour libérer les veinards furent assez longues. Dire que je n’avais pas le cœur un peu gros en voyant les autres partir, serait mentir. Mais le soulagement d’échapper à vingt ans de bagne atténuait un peu mon désappointement. Je réintégrai la Conciergerie et ensuite Mazas.

Sans que je m’en fusse aperçu pendant les huit jours du procès, la tension avait du être assez forte, car le lendemain, je me réveillai avec un mal de gorge atroce. Cela me dura deux ou trois jours.

Je restai à Mazas toute la fin d’août, attendant mon transfert à Clairvaux.

Un jour je demandai à mon gardien d’aller prendre un bain. Il fallut la croix et la bannière pour l’obtenir. Mais, lorsque je demandai des ciseaux pour tailler les ongles de mes orteils, les gardiens se mirent à rire comme des petites folles. Je suppose que c’était un luxe qu’ils ignoraient pour eux-mêmes, tant cela leur paraissait comique. Je n’eus pas mes ciseaux.

Enfin, dans les premiers jours de septembre, un soir, il faisait déjà nuit, on vint me chercher pour être transféré à Clairvaux.