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camarades s’offrirent de lire pour moi. Mais plutôt la mort que d’avoir l’air de « caner » ! Il y avait, surtout, le passage concernant les cambrioleurs à changer. Je me raidis et pus continuer.

Je déclarai qu’en anarchie chacun agissait comme bon lui semblait. Que je n’étais là que pour répondre de ce que j’avais fais ; les cambrioleurs, eux aussi, étaient là pour répondre de leurs actes. Je terminai en relevant les insultes de Bulot, le regardant fixement, lui disant qu’il lui était facile d’être insolent, défendu qu’il était par l’ordre existant.

Et je m’assis, soulagé d’avoir, après tout, assez bien traversé l’épreuve.

Saint-Auban me redemanda le papier pour le communiquer à la presse. En le lui remettant, je lui fis observer qu’il fallait changer le passage dans le sens que je lui indiquai. Il me promit de le faire. Mais, plus tard, en lisant les comptes rendus, j’eus la mortification de constater que, dans sa hâte, sans doute, il avait oublié de le faire. Il était trop tard pour revenir là-dessus.

Après le réquisitoire, une suspension d’audience avait eu lieu. Quand revint la cour, ça ressemblait à une véritable débandade.

Pour attendre le verdict, on nous avait emmenés dans une autre salle. Les accusés restèrent gais, échangeant des plaisanteries. On n’aurait pas dit que, en somme, il s’agissait de vingt ans de bagne en perspective pour chacun. Les avocats semblaient beaucoup plus émotionnés que nous. Saint-Auban marchait appuyé au bras de Desplats, se traînant comme si ses jambes le supportaient difficilement.

Enfin, nous arriva la rumeur que nous étions acquittés. Les jurés avaient été longtemps à se mettre d’accord. La nouvelle se confirma. Nous étions acquittés, sauf, bien entendu, les cambrioleurs. Pour avoir voulu être trop roublard, en mêlant les théoriciens avec les cambrioleurs, le gouvernement avait aidé à notre acquittement. Le lieutenant qui commandait les gardes municipaux qui nous escortaient, vint nous féliciter et nous serrer la main. Des-