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J’en reviens à mes moutons.

Poursuivi pour La Société mourante, je fus transféré à la Conciergerie ; là ou me mit dans une cellule où se trouvait déjà un jeune apache de dix-sept à dix-huit ans qui en était à sa seizième ou dix-septième condamnation. Ce dont il n’était pas peu fier, et ce qui lui donnait une certaine gloire auprès des gardiens.

De par la loi qui condamnait les anarchistes à l’isolement, on vint le chercher dans la soirée pour le transférer ailleurs, mais il eut le temps de me raconter une partie de son histoire.

Orphelin de bonne heure, abandonné à lui-même, il avait commencé par voler le pain et les boites de lait que les fournisseurs déposaient à la porte des clients encore endormis. Puis, il entreprit les étalages et, enfin, l’attaque nocturne.

Il parlait de cela comme il aurait parlé d’un métier quelconque. Ses condamnations, c’étaient ses galons et décorations. Passible de la relégation, il en anticipait de grandes joies.

Les jours suivants, je l’entendis — les promenoirs étaient près de ma cellule — pérorer au milieu d’un cercle de gardiens qui riaient à ses histoires, dont plusieurs n’étaient peut-être que des vantardises.

Le 28 février, je passai en jugement. Bulot assurait, dans les couloirs, qu’il se faisait fort de me faire « obtenir » cinq ans, le maximum.

Comme je l’ai noté, Bulot ne manqua pas, dans son réquisitoire, de lire mon entrefilet de la Révolte sur la magistrature, qu’il n’avait pu digérer. Malgré tout, il n’obtint que deux ans. Il est vrai que c’était moi qui devais les faire.

Le président, dont j’ai oublié le nom, dirigea l’interrogatoire de façon que je ne trouvai pas à placer un mot. Cela fut mené de main de maître, et terminé avant que j’eusse en le temps de dire : Ouf !

Émile de Saint-Auban fit une brillante plaidoirie ; ce fut moi qui ne fus pas brillant. Arrêté par cette idée qu’il était défendu de lire quoi que ce soit dans un procès, je n’avais préparé aucune déclaration. Quant à improviser, j’aurais bafouillé. Je ne pouvais cependant accepter de me retirer sans rien dire. J’eus recours à la déclaration de mon premier procès :