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nement relâché ; que ça se faisait d’habitude. Je pris donc une quarantaine de francs — toute la caisse — et, arrivé au Dépôt, je demandai à être conduit auprès du rond-de-cuir qui avait charge du département des amendes.

On me fit attendre assez longtemps dans un local rempli de « mouches ». Enfin, on finit par venir me chercher. Après avoir traversé je ne sais combien de pièces et couloirs, on nous introduisit, mes deux gardes du corps et moi, dans une pièce très exiguë, remplie de paperasses, dont le désordre pouvait se comparer avantageusement à celui du bureau de la Révolte, et où se tenait un monsieur très solennel, très prudhommesque.

Le bonhomme nous fit aligner, les deux chaouchs et moi, devant la cheminée, comme s’il eût voulu nous passer en revue.

Un des mouchards — qui avait de l’éducation — se trouvant devant un chef, ôta délicatement sa chique de sa bouche et la jeta derrière lui, dans la cheminée.

Mais, dans la cheminée, se trouvait un petit fourneau allumé, avec une casserole pleine d’eau où cuisaient deux œufs que le bureaucrate préparait pour son déjeuner. La chique alla tomber dans la casserole, commençant a teindre l’eau en jaune. Comme il s’était retourné en même temps, le gaffeur s’empressa d’enlever sa chique avant que le vieux « rombier » s’aperçût de ce qui était ajouté à son menu. Je dus me mordre les lèvres pour ne pas éclater de rire.

Enfin, après nous avoir fait pas mal poser, tout bien considéré, le bonhomme me déclara qu’il ne pouvait accepter aucun acompte, et que, par conséquent, je ne pouvais être libéré. Ce que j’aurais dû deviner si je m’étais donné la peine de réfléchir. Je fus donc reconduit au Dépôt, à la salle commune où je restai deux jours. Le deuxième jour je vis arriver Delesalle qui avait été, lui aussi, cueilli quoique n’ayant aucune amende à payer. Évidemment, c’était une rafle en prévision du 1er mai. Le paiement de l’amende n’était qu’un prétexte.

Je fus ensuite mis en cellule où je restai plusieurs jours. Dans mes pérégrinations à travers le Dépôt, je vis des gamins qui n’avaient peut-être pas douze ans, enfermés avec des adultes dont l’aspect ne dénotait pas la crème de