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l’intelligence et réclamant la priorité, pour prouver que notre supposition est possible.

Mais il y a mieux, nous venons de voir avec M. Manouvrier que l’intelligence est toute relative, que tout homme peut être supérieur dans une branche de connaissances et être désorienté dans un autre ordre d’idées. Il n’y a pas d’êtres parfaits, ni omniscients, chacun a sa part des défauts inhérents à la nature humaine, et tel qui raisonnera supérieurement dans les sciences les plus abstraites pourra faire bien petite figure dans les circonstances les plus ordinaires de la vie, quand ce n’est pis ! Certains savants, eux-mêmes, ne font aucune difficulté pour en convenir :

« Chez certains savants, le développement intellectuel a éteint toute vie affective. Pour eux, il n’y a plus ni ami, ni famille, ni patrie, ni humanité, ni dignité morale, ni sentiment du juste. Indifférents à tout ce qui se passe en dehors du domaine intellectuel où ils se débattent, où ils jouissent, les plus grandes iniquités sociales ne troublent pas leur quiétude. Que leur importe la tyrannie, pourvu qu’elle respecte les bocaux, les cornues de leur laboratoire ! Aussi les voit-on choyés, caressés par les plus avisés des despotes. Ce sont des êtres de luxe dont l’existence et la présence honorent le maître, servent de passe-port à ses mauvaises actions et ne sauraient d’ailleurs le gêner en rien. » (Letourneau, Physiologie des Passions, p. 108.)


Laissons donc les savants à leurs bocaux et cornues, inclinons-nous — tout en réservant notre droit de critique — devant leurs décisions quand ils nous parlent de choses qu’ils connaissent, qu’ils ont étu-