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Et, tout en étant au port d’arme, Caragut songeait aux mensonges des écrivains bourgeois lorsqu’ils parlent de l’armée. Il faudrait, se disait-il, que ces messieurs assistassent au spectacle que nous offrent, en ce moment, nos supérieurs ; ou, ce qui vaudrait mieux, qu’ils passent seulement six mois dans la peau d’un simple gribier. En voyant les grandes et petites saletés qui se commettent, peut-être exalteraient-ils moins haut l’honneur, la dignité, les vertus de leurs héros de romans et de poésies militaires.

On a berné le peuple en lui montrant comme un devoir le sacrifice des plus belles années de son existence, consacrées à la défense de la Patrie ! On s’est évertué à couvrir l’armée de fleurs pour mieux en cacher les vices. Il a été tacitement convenu qu’elle était le théâtre de tous les héroïsmes. Et le mot d’ordre a été si bien compris que ceux mêmes qui en sortent ne savent plus démêler si ce sont leurs impressions qui sont vraies ou les déclamations des admirateurs de l’armée. Ils se demandent s’ils ne sont pas en proie à un mauvais rêve, produit de leur imagination surexcitée.

Ce ne sont pas les littérateurs qui souffrent du militarisme, ce sont les militaires eux-mêmes, c’est-à-dire les simples soldats, le bétail humain corvéable à merci. Mais les victimes ne font guère en-