Page:Grave - La Grande Famille.djvu/282

Cette page a été validée par deux contributeurs.

En regardant passer ces hommes d’un pas traînant, coiffés pour la plupart de bérets de matelots, le visage rasé, avec quelque chose de triste dans le regard, de douloureux dans toute la physionomie, Caragut ne pouvait s’empêcher de les comparer à un détachement de prisonniers militaires qu’il avait rencontré un jour, en corvée, sous la surveillance de gardes-chiourmes armés : c’était le même aspect, presque la même tenue.

Lui qui arrivait de Paris, où l’ouvrier a l’allure vive, aisée, la figure gouailleuse, il avait été frappé, dès les premiers jours, de cette attitude morne des ouvriers Brestois.

Mais, un jour qu’il était de garde, dans une autre partie du port, il leur avait parlé, et avait pu deviner une partie de leur existence ; et leur situation misérable lui avait expliqué l’expression triste de leur physionomie.

Dans le port, défense de fumer : aussi, aux heures des repas, les ouvriers se tassent dans les corps de garde pour allumer une pipe ou griller une cigarette, en faisant chauffer leur soupe qu’ils mangent en hiver autour du poêle. Caragut en avait profité pour causer avec eux et les questionner.

Sous l’autorité de l’État, ils sont astreints au régime militaire ; à cela près qu’ils peuvent se marier et vivre en ville. Jusqu’à quarante ans — on