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UN AUTRE MONDE.

Que d’années se sont écoulées depuis le Jour où le Titan de l’illustration conçut pour la première fois l’idée de ravir au ciel le feu qui donne la vie ! Une éternité, un siècle, dix ans ont passé, pendant lesquels Grandville courbé sous le poids de sa pensée qui contenait un monde, a médité dans le silence du cabinet sur les moyens d’achever son œuvre. Un monde ne s’improvise pas en un jour ; il faut le peupler d’hommes, d’arbres, de végétaux, de minéraux : l’entourer d’une atmosphère, lui donner un soleil, une lune, des étoiles. des fleuves, des mers : il faut coordonner les éléments, séparer les races et les espèces : c’est tout cela que Grandville a fait. Sa création est complète, il n’a plus qu’à prononcer la phrase sacramentelle : fiat lux ! et le succès se fera.

La tâche de refaire l’univers appartenait de droit à l’artiste habile, ingénieux, auquel nous devons tant d’amusantes métamorphoses : un cœur poétique, une imagination vive, une main toujours sûre d’elle-même, voilà ce qu’il fallait pour un ouvrage du genre de celui que nous annonçons, voilà ce que Grandville possède au plus haut degré. Parmi les artistes Contemporains, nul mieux que lui ne sait tenir son esprit en équilibre sur cette corde roide qu’on nomme le genre fantastique : il s’élève et rebondit toujours avec la même souplesse et avec le même bonheur, et cependant son œil plonge de chaque côté sur deux profonds abîmes, la bizarrerie et l’affectation. Que de gens de talent n’ont pas su résister à ce double vertige !

Ce titre Un Autre Monde nous promet une longue suite de surprises ; tour à tour satire, roman, poëme, il nous fera Parcourir mille sentiers inconnus et nous montrera mille perspectives diverses : la réalité nous apparaîtra à travers le prisme des songes, des hallucinations. Le crayon de Grandville à vaincu l’Hippogriffe de l’Arioste : nous irons