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LA PELLE NE DOIT PAS

que je dirigeais vers la rue de la Victoire, n’avait pas voulu paraître ignorer le gisement topographique de cette rue, et, du quartier de la Madeleine, m’avait déjà égaré jusqu’à la place de la Bourse.

Une explication s’ensuivit, que ma brusquerie rendit sans doute fort désagréable pour mon vieux Thibaut ; car il se renferma aussitôt dans cette stupidité obstinée qui est la dernière ressource des domestiques poussés à bout, l'ultima ratio de la servitude humiliée.

— Comment pouvais-je savoir, me demanda-t-il en ouvrant de grands yeux, que Monsieur voulait aller rue Chantereine ?

— Vous l’auriez su, nigaud, si vous saviez…

… J’allais ajouter : l’histoire de France, — pensant à Napoléon, à son retour d’Égypte et au 18 brumaire ; mais je me repris à temps pour ne pas lâcher la bévue qui, déjà commise dans mon esprit, errait au bord de mes lèvres :

— Si vous saviez, repris-je… tout ce que vous devez savoir.

Thibaut ne répliqua rien, tourna bride, et nous arrêtâmes bientôt devant la porte que j’avais désignée. Une fois là, au lieu d’ouvrir la portière de droite qui donnait sur le trottoir, j’ouvris celle de gauche, donnant sur la rue, et le résultat de cette fausse manœuvre fut assez déplorable. Un cabriolet, qui arrivait au grand trot derrière nous, vint donner en plein dans le battant poussé si mal à propos, et du choc, le mit en capilotade. Fort heureusement pour moi, je n’étais point encore sorti du coupé, ce qui m’épargna une assez triste aventure. En revanche, il fallut subir une bordée de reproches et d’injures que m’envoya le conduc-