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ON S’HABITUE.

Cependant le jour du départ est venu. Les grenadiers sont rangés en bataille sur la grande place ; derrière eux se tiennent les recrues. Les mères, les sœurs, les fiancées se désolent : encore un baiser, un dernier serrement de main ; le signal est donné, le tambour bat ; en avant, marche ! Latulipe, en passant devant la maison d’Annette, lui porte les armes. La jeune fille pleure, le sergent croit que ces pleurs sont pour lui ; mais elle a regardé Alain. En ce moment celui-ci se serait senti le courage de risquer un aveu ; mais il est trop tard, le clocher du village disparaît, les conscrits lui disent un dernier adieu du haut de la colline. Qui sait s’ils reviendront ? Voilà la triste réflexion qu’ils font tous en ce moment. Quant au sergent Latulipe, il n’a qu’un seul regret, c’est de quitter si tôt Annette ; mais bah ! n’aurait-il pas été obligé de la respecter ? le bailli ne l’avait-il pas averti qu’en sa qualité de rosière la jeune fille était propriété du gouvernement ?

Quelques mois après le départ d’Alain, Léveillé reçut de lui une lettre ainsi conçue :


Cher cousin,

Depuis mon arrivée au régiment, je n’ai pas trop à me plaindre ; nous sommes en Alsace ; le pays est bon, et les femmes jolies ; nous avons des vivres et de l’amour à discrétion : je serais presque heureux, si je pouvais oublier Annette. Après elle une chose m’inquiète, c’est de savoir l’effet que fera sur moi ta première grande bataille. J’ai vu le feu une fois, et je n’étais pas très-rassuré. Le sergent Latulipe, qui me protège, prétend que je m’y habituerai, et que je finirai par obtenir les galons comme lui. C’est égal, si mon oncle voulait me faire remplacer, j’en