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LA POULE A LES YEUX.

Les amours vont vite en Espagne ; une fois l’habitude prise de se voir, on ne renonce pas facilement à ce plaisir. Miranda, Soledad, Ernest et Eugène multipliaient les rencontres préméditées ; la señora Montes paraissait ne se douter de rien ; aucun obstacle ne traversait le bonheur des amants, si ce n’est le hasard. Ordinairement le hasard se range du côté de l’amour ; il n’en fut rien cette fois : pas un rendez-vous qui ne fût troublé par la présence inattendue de quelque témoin importun. S’ils choisissaient une chapelle écartée, tout de suite une vieille dévote, la tête embéguinée, venait s’agenouiller à leur côté ; s’ils allaient à la campagne, une paysanne s’asseyait sur l’herbe à quelques pas d’eux et se mettait à tresser des espadrilles : pas moyen d’être seuls pendant cinq minutes.

Cependant toute la ville causait de la liaison des deux couples. — Voyez, disaient les Grenadines, à quoi sert l’esprit ? La señora Montes ne se doute pas seulement que ses nièces ont des amoureux ; elle ne l’apprendra que le jour où les Français les lui auront enlevées.

À cette époque on donna à Grenade un bal masqué pour célébrer une victoire remportée sur les factieux ; la señora Montes avait promis à ses nièces de les conduire à cette fête. Je vous laisse à penser si Eugène et Ernest en furent instruits. On convint d’un signal de ralliement ; Soledad et Miranda mettront une rose rouge dans leurs cheveux ; Ernest et Eugène arboreront un brin de bruyère blanche à leur domino.

Les deux jeunes filles sont charmantes, la rose ressort gracieusement au milieu de leurs cheveux noirs ; elles montent en voiture ; elles entrent dans la salle de bal ; je ne