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AVEC LE FEU.

condition voudrait qu’il fût ? Puis-je m’empêcher d’éprouver des accès de tristesse quand je me trouve introduit, comme je le suis maintenant, dans un boudoir, et quand je me dis que rien de ce que je sens, de ce que j’aperçois ne m’appartient, que toutes mes impressions sont, pour ainsi dire, des vols ? En effet, quand même je sacrifierais ma vie, je n’aurais pas le droit de révéler rien de ce que renferme mon âme. Et tenez, Madame, tout à l’heure en vous regardant, en pensant à tout cela, il m’est venu dans l’esprit quelques vers qui exprimeraient peut-être mieux que tout ce que je pourrais vous dire ce qui se passe en moi.

— Comment ! monsieur Saint-Preux, vous faites des vers ?

— Oui, Madame, quelquefois je cherche des rimes, j’improvise, et c’est encore ce qui peut vous expliquer le peu de progrès que j’ai faits dans la coiffure.

— Voyons vos vers, récitez-les-moi ; je tiens beaucoup à connaître les idées que j’ai pu inspirer.

Il baissa la tête, parut se recueillir, et commença d’une voix expressive et tremblante :

   
Quand mon souffle égaré sur ces tresses profondes
Effleurait leurs anneaux sur l’ivoire étendus,
Quand de ces longs cheveux ma main pressait les ondes,
Quel trouble s’emparait de mes sens éperdus !

D’un front pur et divin j’admirais la merveille ;
Et mes yeux se couvraient d’un nuage de pleurs ;
Et mon âme enviait le destin de l’abeille,
Libre de se jouer à la cime des fleurs.