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QUI VEUT ÊTRE RICHE EN UN AN, ETC.

— Une sinécure que m’a promise un mien cousin, député ministériel.

— Tu l’attends, et moi je l’ai, continua un petit monsieur blond qui portait un œillet blanc à sa boutonnière ; depuis hier j’inspecte les prisons au nom du gouvernement.

Mille propos suivaient ceux-ci ; mais, à tous ces discours inspirés par la joie ou l’espérance, un pâle jeune homme, étendu sur une pile de coussins, ne répondait que par les mouvements dédaigneux de sa bouche armée du bout ambré d’une pipe turque. Au plus fort de ses aspirations et de son dédain, il fut brusquement apostrophé par l’un de ses camarades.

— Eh ! beau ténébreux ! s’écria-t-il, depuis quand as-tu pris l’habitude de ce silence qui ferait honneur à l’obélisque ? Es-tu désillusionné, toi aussi ? C’est bien usé, mon cher.

— Et pourquoi voulez-vous que je parle ? répondit l’homme à la pipe. Est-il bien nécessaire que je verse un contingent de billevesées au fleuve de sornettes qui s’épanche de vos lèvres depuis deux heures ? Vous rayonnez de contentement, tant mieux ; votre bonheur à tous a un bonnet de coton sur les oreilles et des socques aux pieds ; gardez-le. L’un a mille écus de revenu, l’autre six mille francs ; Achille a une place, Gustave aussi, Paul de même ; Joseph attend un héritage, Charles mange le sien ; Henri va se marier. À ce prix-là il me serait très-facile d’être heureux ; mais cette joie ne m’amuserait guère. J’ai une centaine de mille livres qui, bien placées sur première hypothèque, me rapporteraient quatre à cinq mille francs de rente. Fi donc ! je veux faire fortune au galop.