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QUI VA CHERCHER DE LA LAINE

de plus dans la presse, cinquante mille francs de moins dans mon portefeuille.

— Et le grand homme au gros ventre ? demanda l’un des frères.

— Il faillit devenir député. L’industrie et la littérature ne m’ayant pas réussi, je me lançai dans les spéculations. Dans cette carrière périlleuse, on ne peut espérer le succès que par le secours de l’audace. À moi et à mon associé…

— Ah ! tu avais un associé ?

— On a toujours un associé… À nous deux, esprits hardis, il fallait, dis-je, quelque chose de neuf, d’imprévu, d’osé. Nous spéculâmes sur les huîtres. L’accaparement détermina la hausse ; on faillit se révolter à la rue Montorgueil, où mille garçons de restaurants demandaient les cloyères qui n’arrivaient pas. Paris resta huit jours sans huîtres : la consternation était à son comble ; mais quand nous nous décidâmes à ouvrir nos parcs, les bivalves étaient morts. Mon capital s’en était allé en coquilles ; j’eus pour ma part un dividende de cent mille écailles. Les cèdres de l’Atlas mangèrent ce qui me restait. Quelque temps je battis le pavé de Paris ; mais c’est un pavé qu’on ne saurait battre longtemps quand on n’a rien dans la poche. C’est alors que, secouant toute mauvaise honte, je suis parti pour cet honnête département de l’Indre où vous avez vécu loin des orages et des passions. Et vous, mes frères, vous m’avez accueilli comme l’enfant prodigue, et vous avez eu même l’attention de supprimer le veau que je n’aime pas pour le remplacer par le gibier que j’aime beaucoup.