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IL TE CRÈVERA LES YEUX.

de la taille de Lucy, et sa main détachait déjà les fleurs d’oranger, lorsque vingt coups de fusil éclatèrent dans l’ombre ; trente bandits escaladèrent les murs avec des cris sauvages, et Snag, à leur tête, une hache à la main, bondit dans la cour.

Robert voulut s’élancer, mais une balle le frappa à la poitrine ; il poussa un cri et ouvrit les yeux…

Le soleil inondait la chambre de ses purs rayons ; mille chants joyeux retentissaient entre les branches des tilleuls fleuris ; Robert était sur son lit. Il passa la main sur son front, et les événements de la nuit lui revinrent à la mémoire.

— J’ai rêvé ! dit-il.

— Oui, c’est un rêve, répondit la voix douce comme le soupir d’une flûte.

Robert tressaillit. Sur le rebord de la fenêtre un joli rouge-gorge sautillait.

— Tu m’as sauvé la vie, reprit la voix, un jour que j’allais être pris par un oiseau de proie ; je t’avais promis de m’en souvenir. Cet enfant que tu as recueilli sous ton toit est un bohémien ; sa chevelure semblable à l’aile du corbeau est moins noire que son âme. J’ai prié ma sœur, la fée Mab, de verser le sommeil sur tes paupières, et, dans un songe, je t’ai fait voir la vérité. Lève-toi donc, et hâte-toi de renvoyer Snag.

— Mais qui donc es-tu ? demanda Robert Effing.

— Je suis le lutin Elphy. Chaque année, pendant trois jours, je suis obligé, par la loi qui gouverne les esprits, de prendre la forme d’une créature vivante. J’étais perdu sans ton secours généreux. Ma captivité finit ce matin. Adieu,