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COURTE CAPE.

je n’approuvai pas, il s’en faut, toutes les inventions de mon ami ; j’entrevoyais très-bien les tristes lacunes du luxe menteur qu’il allait afficher, et je les lui signalais avec une impitoyable franchise. À la longue, ceci le mit de mauvaise humeur, et pour changer de conversation :

— J’ai renvoyé, — me dit-il, — mon valet de chambre, mon brave Joseph. Ce pauvre garçon est sans place ; tu devrais t’en accommoder.

— Merci, Excellence, — répondis-je en m’inclinant ; — mais, avant tout, je voudrais savoir pour quel motif tu t’es séparé de ce fidèle serviteur ?

— Je te le dirai très-volontiers, car cela ne peut lui faire aucun tort. Il avait trop d’esprit pour moi.

— Trop d’esprit !… m’écriai-je. —

— Ou, si tu le veux, trop de perspicacité. En ma qualité d’homme politique, je n’agis presque jamais qu’en vertu d’un système ; et l’une de mes théories les plus arrêtées, c’est que pour avoir des instruments commodes et dociles, il ne faut jamais s’entourer que de gens au moins médiocres. Ceux-là seuls pratiquent l’obéissance passive, et ne mêlent pas indiscrètement leurs inspirations aux vôtres ; ils sont souples, dépendants, facilement effrayés… Bref, pour qui le connaît, c’est un véritable trésor qu’un imbécile. Je ne veux m’entourer que de cela.

— Tu me permettras alors, — interrompis-je, — de ne pas venir voir trop souvent ton Excellence : je craindrais de passer pour un de ses favoris.

Nous bavardions encore sur ce texte plaisant, lorsque la