Page:Grandville - Cent Proverbes, 1845.djvu/341

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
261
EST PLUS HAUTE, ETC.

en dépit des gammes et des roulades qui s’élançaient plus énergiques et plus sonores que jamais. Le surlendemain, Morphée continua à répandre ses pavots les plus doux sur les paupières de l’unique et dernier rejeton de la famille des Antivalomeni. Le prince éprouva même une sensation voluptueuse que son sommeil du matin ne lui avait pas jusqu’alors procurée ; cette voix si fraîche et si pure le berça, et il dormit aux notes de la chanteuse, comme on dort au bruit des arbres, à l’écho d’une pluie d’été sur le feuillage ou aux mélodieux soupirs d’une fontaine.

Mais il arriva qu’un matin la choriste ne chanta plus, ni ce jour-là, ni les jours suivants. Le prince eut beau appeler le sommeil de toute l’énergie de ses prunelles, le sommeil lui tint rigueur ; et cependant ses vœux étaient satisfaits. La fauvette était muette dans son nid ; mais d’importune qu’elle était autrefois, elle était devenue insensiblement agréable, nécessaire même ; et le prince, qui ne craignait pas de passer pour le plus versatile des dormeurs, dit bientôt à Carlo :

— J’avais offert à cette jeune choriste cent sequins pour qu’elle cessât de chanter ; à présent j’en mets le double à sa disposition, si elle veut chanter, comme par le passé, dès le matin… Dis-lui que je suis un dilettante d’une espèce particulière. La plupart des gens n’aiment guère la musique que la nuit ; moi, c’est surtout au lever du jour qu’elle me plaît. Pars, et qu’avant ton retour le plus mélodieux ramage vienne m’annoncer que mes volontés sont remplies.

Carlo s’acquitta de sa commission, et fit savoir au prince qu’il devait renoncer désormais à entendre la cho-